innovationcancer.org
Interview d'Axelle Davezac
Directrice Générale
de la Fondation ARC

Les enjeux de l’accès
à l’innovation thérapeutique

8 propositions pour sauver 40 000 vies de plus chaque année

Les révolutions de la recherche sur le cancer

La recherche sur le cancer a connu ces 10 dernières années une phase d’accélération sans précédent. Passionnante, stimulante, exigeante, parfois déroutante, elle a révolutionné notre compréhension de la maladie et notre manière de la combattre.

Les avancées de la recherche fondamentale, rendues possibles par le séquençage du génome et les progrès de la biologie moléculaire, se sont concrétisées en innovations thérapeutiques majeures, au plus grand bénéfice des personnes malades. Les résultats sont manifestes : alors que nous ne parvenions à guérir que 1 cancers sur 3 il y a 20 ans, nous guérissons plus de 1 cancer sur 2 aujourd’hui.

L’histoire est en marche ! Les innovations thérapeutiques d’aujourd’hui, pour peu qu’un plus grand nombre de patients puisse y accéder et c’est là tout l’enjeu, nous autorisent à envisager de franchir une nouvelle étape dans la lutte contre la maladie. En ligne de mire : guérir 2 cancers sur 3 dans moins de 10 ans et, ainsi, sauver 40 000 vies supplémentaires chaque année. Un beau challenge…

Interview de Bernard
Patient en rémission

Qu’est-ce que l’innovation thérapeutique ?

L’innovation en cancérologie, c’est une rupture, une nouvelle pratique ou stratégie thérapeutique qui s’appuie sur une percée conceptuelle ou technologique avec un impact majeur en termes de prévention, de diagnostic, de guérison ou de qualité de vie pour les malades.

Une forme de césure entre le monde de la recherche et les malades a toujours existé et a pu constituer en soi un obstacle à l’innovation. D’un côté la « paillasse » du laboratoire et de l’autre l’univers des soins, des médecins et des malades… Cette dichotomie, qui s’est progressivement estompée, doit être dépassée. Aujourd’hui, recherche fondamentale et clinique unissent leurs efforts. Cette recherche « translationnelle » permet de créer un continuum et une interaction permanente entre les chercheurs et les patients. Cette interpénétration féconde bénéficie en premier lieu aux malades qui accèdent ainsi à des thérapies innovantes.

L’exceptionnel essor des innovations thérapeutiques

Si de tels progrès ont été accomplis ces dernières années pour faire reculer la maladie et sauver des vies, c’est grâce aux progrès de la recherche fondamentale ainsi qu’à une multitude d’innovations diagnostiques et thérapeutiques qui en découlent.

Impossible de toutes les mentionner mais citons les progrès accomplis dans le dépistage des cancers, leur caractérisation histologique et moléculaire, l’imagerie et les reconstitutions en 3D qui permettent une finesse jusque-là inégalée dans l’appréhension des tumeurs. Parlons de la chirurgie, toujours moins invasive et plus précise ainsi que de la radiothérapie elle aussi plus ciblée et efficace.

Citons également l’avènement des thérapies ciblées qui permettent, grâce au séquençage des tumeurs et à de nouvelles molécules médicamenteuses, de détruire spécifiquement les cellules cancéreuses en épargnant toujours plus les cellules saines.

L’immunothérapie, qui consiste à stimuler et éduquer le système immunitaire pour lutter contre les cancers, constitue elle aussi l’un des progrès majeurs accomplis ces deux dernières années avec des perspectives extraordinairement prometteuses.

N’oublions pas non plus les progrès de la biologie moléculaire, le séquençage à haut débit des tumeurs et la génération de « big data » qui en résulte, une mine de données à exploiter pour concevoir de nouvelles stratégies thérapeutiques. Parlons également des nanoparticules et des nanomédicaments qui viennent compléter notre arsenal anti-cancer…

Bref, dans tous les domaines et sur tous les fronts, la recherche et les innovations thérapeutiques progressent, se déploient et sauvent des vies.

La France, un terreau fertile pour l’innovation

La France est aux avant-postes de la recherche sur le cancer et de l’innovation thérapeutique. Le monde entier nous observe et la France, lors du dernier congrès annuel de l’ASCO à Chicago, le plus grand rassemblement mondial de spécialistes en cancérologie, était le 2ème pays, derrière les Etats-Unis, en termes de publications scientifiques. Le programme AcSé, dont la Fondation ARC est le principal partenaire financier, est unique au monde. La France est par ailleurs l’un des pays les plus attractifs et compétitifs au monde pour y mener des essais cliniques en cancérologie.

Comment expliquer ce succès ? Saluons en premier lieu la qualité de nos chercheurs et de nos médecins. La matière grise française reste son 1er atout. Il faut également mettre en avant la qualité de notre système de soins, de nos infrastructures hospitalières, de nos organismes de recherche publics (notamment l’INSERM et le CNRS) et de nos universités. Les laboratoires pharmaceutiques et les start-up spécialisées dans les biotechnologies ne sont pas en reste. Les « Plans cancer » et la création de l’Institut national du cancer (INCa) en 2005 ont également beaucoup contribué aux progrès accomplis. La création par l’INCa de 28 plateformes hospitalières de génétique moléculaire réparties sur l’ensemble du territoire et accessibles à tous a également permis à la France de prendre une longueur d’avance. Le fait que le système de soins français soit égalitaire et qu’il n’y ait pas de discrimination sociale dans l’accès aux soins, mêmes les plus en pointe, a également permis à un plus grand nombre de malades d’accéder aux innovations thérapeutiques. C’est la preuve que la recherche bénéficie aux soins et réciproquement.

Recherche et innovations : des besoins non satisfaits

Tout n’est pas rose pour autant. Loin de là…

150 000 personnes continuent à mourir chaque année d’un cancer en France. En 2013, 65 000 patients seulement ont bénéficié d’un test visant à identifier des marqueurs prédictifs déterminant l’accès à une thérapie ciblée et le nombre de mutations repérées n’est pas suffisant. Seulement 5 à 8% des patients atteints de cancer sont inclus dans un essai de recherche clinique. Les chercheurs manquent cruellement de moyens humains et financiers pour poursuivre leurs recherches et mettre sur pied de nouveaux essais cliniques. La législation française et européenne est souvent trop lourde et ralentit les innovations, les médecins et les patients ne disposent pas systématiquement d’un accès suffisant aux informations concernant les innovations thérapeutiques dores et déjà disponibles ou les essais cliniques dont ils pourraient bénéficier. Il faut investir dans des équipements de dernière génération, notamment les séquenceurs haut débit, mettre au point des algorithmes pour exploiter les données générées par le séquençage, développer de nouveaux métiers en bio-informatique, monter des essais cliniques de nouvelle génération en thérapies ciblées afin de tester des combinaisons de molécules…

8 propositions concrètes pour accélérer l’accès aux innovations thérapeutiques

Pour permettre à davantage de malades d’accéder aux innovations thérapeutiques et ainsi sauver 40 000 vies de plus chaque année (d’ici moins de 10 ans), la Fondation ARC émet 8 propositions.

PROMOUVOIR UN ENVIRONNEMENT PROPICE A L’INNOVATION

1. Renforcer l’information des malades et des professionnels de santé.

Le principal frein dans l’accès à l’innovation thérapeutique, c’est le manque d’information. Ce manque d’information concerne bien évidemment les malades mais parfois aussi les professionnels de santé. Les progrès sont tels en matière de recherche et d’options thérapeutiques qu’il est difficile de tous les connaitre. Les malades doivent avoir les moyens d’être plus actifs et participatifs, poser des questions et « challenger » leur médecin. Oui à « l’empowerment » !

2. Adapter la législation et accélérer les autorisations.

Les règlementations, qu’elles soient européennes ou nationales, sont indispensables pour préserver la sécurité des malades et éviter toute dérive. Pour autant, elles ne doivent pas constituer un frein limitant l’accès à l’innovation thérapeutique. Les innovations sont quotidiennes et le cadre réglementaire s’avère vite dépassé. Il est indispensable que les autorités fassent preuve de souplesse et de réactivité pour permettre à des malades, dont c’est parfois l’ultime espoir, de bénéficier de nouveaux essais cliniques. La réglementation peut et doit créer de nouvelles opportunités pour accéder aux innovations. Les professionnels de santé et les chercheurs sont en mesure de garantir un accès sécurisé aux innovations thérapeutiques.

3. Adopter une perspective internationale.

LE cancer n’existe pas. Il y en a des centaines… Plus nous progressons dans les connaissances, plus nous nous rendons compte que les cancers constituent une multitude de maladies rares. Pour mieux les combattre, des essais cliniques s’adressant à des populations ayant un profil commun très spécifique doivent être mis en place. Or, pour que les essais cliniques soient pertinents, ils doivent inclure rapidement un nombre conséquent de malades… Il faudra donc changer d’échelle en ouvrant et en multipliant les essais cliniques à dimension internationale.

PLACER LE PATIENT AU CŒUR DE LA RECHERCHE ET DES SOINS

4. Améliorer le diagnostic et le dépistage précoce.


Le diagnostic de la maladie doit être toujours plus précoce car, détecté à temps, un cancer se soigne beaucoup plus efficacement. Les méthodes diagnostiques, notamment les biopsies liquides, doivent également être développées et les informations collectées lors de l’examen de la tumeur (examen histologique, profil génétique et épigénétique, imagerie fonctionnelle etc…) plus rapidement analysées. Enfin, les facteurs prédictifs de l’évolution de la tumeur et de la réponse au traitement (biomarqueurs) doivent être plus systématiquement et largement identifiés, y compris dans le cas des traitements « classiques » comme la chimiothérapie. La précocité, la qualité et la prédictivité thérapeutique des diagnostics doivent par ailleurs être accessibles sur l’ensemble du territoire.

5. Multiplier les essais cliniques.

Les essais cliniques peuvent concerner les chimiothérapies classiques, la radiothérapie, la chirurgie, l’immunothérapie, les thérapies ciblées… Rien que dans les thérapies ciblées, plusieurs centaines de molécules sont actuellement testées. Il convient parallèlement de tester des combinaisons de molécules, un chantier considérable. Conséquence de cette complexification croissante, les essais cliniques changent de nature, de format, de design... Evolutifs, adaptatifs, « pilotés » en temps réel, ils constituent à la fois une source irremplaçable de nouvelles connaissances ainsi que de précieuses chances de survie supplémentaires pour les malades, notamment quand ils sont en situation d’échec thérapeutique. 
Pour multiplier les essais cliniques, il faut des moyens humains, matériels et financiers considérables.

6. Maintenir une recherche clinique académique de pointe.

En matière de recherche et d’innovations thérapeutiques, tout le monde doit se mobiliser : industriels, Etat, centres de lutte contre le cancer, hôpitaux publics et privés, académiques, agences publiques, organismes caritatifs… Il n’en demeure pas moins que la recherche académique publique, notamment clinique, sera toujours la seule à poser certaines questions, à s’intéresser à des cas rares qui n’ont pas nécessairement d’intérêt économique pour des industriels mais qui peuvent être très utiles en termes de connaissances et de progrès thérapeutiques.

MOBILISER LES MOYENS NECESSAIRES DANS LA DUREE

7. Investir dans de nouveaux équipements et créer de nouveaux métiers.

Les chercheurs et les médecins ont besoin de matériel de pointe pour poursuivre la recherche et les soins. Matériels d’imagerie, de radiothérapie, séquenceurs haut débit, robots chirurgicaux, bases de données, algorithmes, personnel formé et qualifié… Ces moyens humains et matériels doivent être déployés à grande échelle sur l’ensemble du territoire et proposés au plus grand nombre. Les innovations existent ! Il faut maintenant passer d’une médecine d’exception à une médecine pour tous.

8. Déployer des moyens financiers massifs !

Pour avancer en matière de recherche et d’innovations thérapeutiques, pour permettre à toujours plus de malades d’avoir accès à ces innovations, il faut des moyens financiers considérables. Le secteur caritatif, guidé par l’intérêt général, est très souvent le principal partenaire financier d’essais cliniques majeurs et de rupture qui, sans lui, n’existeraient pas. C’est par exemple le cas du programme AcSé dont les deux essais cliniques sont financés par la Fondation ARC (principal partenaire financier) à hauteur de 3,2 millions d’euros. Pour l’essai WINTHER, la Fondation ARC mobilise 2 millions d’euros, 4,5 millions d’euros pour les deux essais du programme SAFIR 02 ! Ces sommes sont importantes mais pas inatteignables. A chacun de se mobiliser et de contribuer à la hauteur de ses moyens.

La Fondation ARC s’engage !

La Fondation ARC, c’est la 1ère fondation française 100% dédiée à la recherche sur le cancer. Nous sommes des « pure players » !

Chaque année, nous investissons environ 30 millions d’euros dans nos missions sociales avec la conviction que le cancer, c’est la recherche qui l’aura.

Nous sommes intimement convaincus du rôle irremplaçable que joue la recherche académique, aux côtés de la recherche réalisée par des industriels, pour innover en matière de solutions thérapeutiques. Sans le soutien du secteur caritatif, cette recherche académique n’existerait pas.

La Fondation ARC ne se contente pas de financer les projets de recherche qui lui sont proposés. Nous sommes détenteurs d’une expertise scientifique pluridisciplinaire que nous mobilisons pour concevoir et déployer une stratégie scientifique singulière qui repose sur trois piliers :

1. la prévention et le dépistage précoce ;
2. la médecine de précision (thérapies ciblées et immunothérapies) ;
3. l’innovation technologique et la chirurgie de pointe.

Cette stratégie scientifique est irriguée par le soutien indéfectible que nous apportons à la recherche fondamentale, indispensable préalable aux innovations thérapeutiques.

Notre ambition est de franchir une nouvelle étape et de mobiliser 30 millions d’euros supplémentaires sur cinq ans afin de réaliser des avancées décisives pour les malades dans chacun des trois piliers de notre stratégie scientifique.

Nous devons renforcer notre action en matière de recherche afin de démultiplier les innovations thérapeutiques proposées aux malades. Quant aux nombreuses innovations déjà existantes, il est urgent de permettre au plus grand nombre d’y avoir accès.

Pour y parvenir, nous avons besoin du soutien de tous. Aujourd’hui !